Pourquoi tant de maraîchers abandonnent – Cause d’échec et solutions

Le chiffre parle de lui-même : en Wallonie, pour dix fermes maraîchères qui ferment, seulement quatre nouvelles s’installent. Comprendre pourquoi permet de mettre des mots sur une réalité partagée par des milliers de producteurs.

Au sein de PermaTechnics, nous côtoyons quotidiennement des maraîchers investis dans les réalités du métier. Dans un secteur où les outils numériques restent fragmentés nous tentons d’apporter notre pierre à l’édifice, en aidant à planifier les cultures et organiser les tâches

Mais nous savons que les défis vont bien au-delà de l’organisation. Pour nous comme pour vous, il est indispensable de regarder en face les causes qui poussent tant de producteurs à abandonner.

 

1. L’équation économique déséquilibrée

69% des agriculteurs européens jugent leurs revenus insuffisants pour assurer la pérennité de leur exploitation.

Une difficulté majeure du maraîchage tient en un constat : la structure de charges est la même que pour n’importe quelle activité indépendante, alors que les revenus ne sont pas comparables. Là où une profession libérale facturera plus de 100€ de l’heure, un maraîcher vend des salades à 1€ pièce.

Les charges sociales, la TVA, les cotisations obligatoires pèsent identiquement sur tous les indépendants. Mais quand votre chiffre d’affaires dépend de la météo, des ravageurs et des prix du marché, l’équation devient vite compliquée.

Pour payer une heure de conseil ou d’expertise légale, il faudra vendre une centaine de salades. Et ces 100 salades représentent des heures de préparation du sol, de semis, d’entretien, de récolte, de conditionnement et de vente.

L’endettement initial aggrave la situation. Pour un maraîcher, on parle de 20 000€ à 60 000€ pour démarrer sur un hectare – un montant déjà considérable quand l’accès au crédit reste compliqué. Les couveuses d’entreprise et le crowdfunding émergent comme alternatives, mais restent des solutions partielles.

Ce qui peut aider : Les systèmes d’abonnements type paniers sécurisent une partie des revenus en vendant avant de semer. Mais cela demande des compétences commerciales rarement enseignées en formation agricole.

 

2. La terre hors de prix

L’accès au foncier est devenu le premier verrou. La PAC, en subventionnant à l’hectare, favorise mécaniquement les grandes structures et transforme la terre en placement financier. Les petites parcelles adaptées au maraîchage diversifié sont soit hors de prix à l’achat, soit impossibles à louer sur le long terme.

Entre 2000 et 2010, le nombre de fermes européennes de moins de 10 hectares a chuté d’un quart. Les terres ne disparaissent pas – elles sont absorbées par des exploitations toujours plus grandes, souvent céréalières. Pour un nouveau maraîcher sans capital familial, s’installer devient un parcours du combattant.

Le problème est particulièrement aigu pour ceux qui louent : investir du temps et de l’argent pour améliorer un sol qu’on peut perdre du jour au lendemain n’a que peu de sens économique. Pourtant, un sol vivant et riche est la base de tout en maraîchage.

Les alternatives restent limitées : Des initiatives comme Terre-en-vue tentent de sortir des terres du marché spéculatif, mais face aux enjeux financiers, ces solutions restent marginales.

 

3. Le corps qui s’use, l’esprit qui craque

50 à 60 heures hebdomadaires en moyenne, avec des pointes à 80 heures en pleine saison. Le maraîchage use physiquement : dos cassé par le désherbage, genoux abimés par les récoltes, tendinites à répétition. Les troubles musculo-squelettiques ne sont pas un risque mais une quasi-certitude à moyen terme.

L’isolement aggrave tout. Les horaires décalés – lever à 5h, coucher après la paperasse – coupent des rythmes sociaux. Le couple tangue sous la pression. Les vacances ? « Si je laisse le champ une semaine, j’ai un mois de retard à rattraper.

Plus de la moitié des actifs agricoles rapportent des pressions psychosociales importantes. La ligne d’écoute Agri’écoute reçoit plus de 300 appels mensuels en France. Le burnout devient presque la norme, mais l’avouer reste tabou dans un milieu où la « force » est valorisée.

Les garde-fous fragiles : L’entraide entre maraîchers existe et sauve parfois littéralement la mise. Les groupes d’échange deviennent des espaces où la parole se libère. Mais beaucoup craquent en silence, par pudeur.

 

4. L’environnement devenu imprévisible

Le dérèglement climatique a transformé le maraîchage en une forme loterie. Sécheresses prolongées suivies de pluies diluviennes, gel tardif, canicules précoces – les repères ancestraux volent en éclats. Une année, c’est le manque d’eau qui décime les cultures. La suivante, l’excès de pluie fait pourrir les récoltes.

Les ravageurs prolifèrent avec les températures douces. Limaces, pucerons, altises arrivent plus tôt et restent plus longtemps. Les solutions biologiques existent mais coûtent cher et demandent une vigilance constante. Un moment d’inattention et c’est une culture entière qui disparaît.

Cette instabilité rend toute planification hasardeuse. Comment prévoir ses revenus quand une grêle de dix minutes peut anéantir six mois de travail ? Les assurances récolte existent mais leurs primes sont prohibitives pour les petites structures diversifiées.

L’adaptation coûteuse : Serres, filets anti-grêle, irrigation performante – les solutions techniques existent mais demandent des investissements que peu peuvent se permettre. La résilience a un prix que le marché ne reconnaît pas.

 

5. L’administratif chronophage

« Ne vous lancez pas seul dans ces démarches ! » – quand c’est le conseil officiel, on mesure le problème. Le parcours d’installation implique une multitude d’interlocuteurs : chambres d’agriculture, MSA, services fiscaux, contrôles sanitaires. Chaque organisme a ses exigences, ses délais, ses formulaires.

Les normes s’accumulent. Cahier de cultures, traçabilité phytosanitaire, déclarations de surfaces – chaque obligation, justifiée individuellement, devient écrasante dans son ensemble. Le temps passé devant l’ordinateur grignote celui des champs.

Le système d’aides illustre l’absurdité : en France, passé 40 ans, vous n’avez accès qu’à 9% des aides publiques à l’installation. Votre expérience professionnelle antérieure ? Votre maturité ? Sans importance face au critère d’âge.

Des simplifications émergent : Des guichets uniques apparaissent. Des logiciels comme PermaTechnics structurent la planification et allègent la paperasse. Mais le système dans son ensemble reste pensé pour des exploitations avec du personnel administratif, pas pour un maraîcher seul sur trois hectares.

 

Regarder la réalité sans fard

Ces cinq causes d’abandon s’entremêlent et s’amplifient. Le manque de rentabilité empêche d’embaucher pour soulager la charge de travail. L’épuisement rend la gestion administrative chaotique. Les aléas climatiques aggravent la précarité financière.

Les solutions systémiques – refonte de la PAC, reconnaissance de la pénibilité, soutien adapté aux petites structures – relèvent largement de l’illusion dans le contexte politique actuel. L’urgence réside souvent ailleurs dans les priorités publiques.

Certains trouvent des stratégies de survie : taille volontairement limitée, mutualisation d’outils, diversification vers la transformation. Ces approches fonctionnent mais demandent une énergie que tous n’ont pas.

Le maraîchage local a un avenir, car nous aurons toujours besoin de nous nourrir, mais le modèle actuel est défaillant. En attendant d’hypothétiques changements profonds, chaque acteur fait ce qu’il peut.

Au sein de PermaTechnics, nous tentons d’alléger le fardeau organisationnel pour libérer du temps et de l’énergie mentale. C’est modeste face à l’ampleur des défis, mais c’est notre contribution concrète.